Etude
Commentaires sur la visio-conférence La Hallyu et l'après-BTS organisée le 25 février 2022 par l'Université de Bourgogne et l'Ecole Coréenne de Dijon
Dr. HONG Seok-Kyeong, spécialiste en étude de la Hallyu (vague coréenne), professeure du département de Communication à l'Universté Nationale de Séoul
Temps de lecture :
25 mn
Mars 2022
Le jour de l’annonce de la conférence de la Professeure Hong Seok-Kyeong*, sur la « Hallyu et l’après BTS », plusieurs centaines d’intéressés se massent sur la publication Instagram du Centre Culturel Coréen. Les commentaires se succèdent en rangs serrés. La plupart ne s’inquiètent que d’une chose : l’heure de la diffusion, en pleine semaine, n’est guère adaptée aux horaires de travail de bureau. Car la plupart des intéressés sont tout sauf des adolescents !
Je vous épargnerai les péripéties de ma connexion impossible à la première invitation Zoom, malgré l’infinie sollicitude du Centre Culturel Coréen autant que de l’Ecole Coréenne de Dijon. La conférence, piratée, sera écourtée et reportée quelques jours plus tard. On m’annonce ma réinscription, puis un refus… Lorsque le matin-même de la (deuxième) conférence tombe enfin sur ma messagerie le sacro-saint code d’accès, je n’y croyais plus !
J’avais aussi quelques a priori…
Les études universitaires sur la K-Pop, la Hallyu, le soft power coréen… ont mangé un certain nombre de mes soirées lorsque je préparais mon livre. On en trouve à la tonne sur internet – voir Academia et Google Scholar – et je crois qu’il doit m’en rester encore une dizaine en attente de lecture.
Ce n’est pas qu’elles manquent de pertinence sur les sujets couverts, mais il est assez fréquent de devoir parcourir une bonne quinzaine de pages d’introduction, soit à la gloire de la réussite coréenne (pour les études asiatiques), soit à la gloire de l’acharnement de l’auteur fier d’avoir « infiltré » les communautés K-pop à des fins d’observation (pour les études occidentales), avant d’entrer péniblement dans le cœur de ce qui va les différencier les unes des autres.
A tel point que certains jours l’étude de la K-pop pris sous cet angle fastidieux semblait se résumer au principe de résistance à l’ennui.
Pendant ce temps, la plupart des fans de K-pop ignorent encore qu’il se tient à Londres, à Edimbourg, dans le Massachussets, à Sidney, des colloques très privés d’experts prêts à disséquer leurs moindres faits et gestes. C'est le cadet de leurs soucis !
Car la K-Pop s’écoute, se visionne, son actualité aussi abondante qu’insolite se vit et se raconte, elle se danse aussi, et précipite échanges inattendus, rencontres, et toutes sortes de débats.
La K-pop n’est pas dans les livres, mais entre les mains des fans sur les réseaux, et dans les entrailles des maisons de production, prises entre leur incroyable créativité marketing et le talent forcené de leurs artistes. Dans une sorte de combat fusionnel permanent, où l'investissement personnel est de rigueur.
La professeur Hong Seok-Kyeong a publié, ces quinze dernières années, bon nombre d'études sur la vague coréenne, mais elle n’est pas une lointaine observatrice.
Partageant son engouement pour les BTS avec sa propre fille - je sais ce que c’est ! – elle n’a par exemple pas hésité à en interviewer le fondateur, l’inénarrable Bang Si-Hyuk, CEO de la BigHit, maison de production des BTS, devenue Hybe aujourd’hui. (Entre diplômés de l’Université de Séoul, on se comprend !)
Alors lorsqu’une véritable experte s’adresse directement au grand public, c’est une aubaine.
Ici une mise en garde toutefois : Le discours, agrémenté de slides à bullet points, s’adresse bien sûr aux curieux cherchant à disséquer le succès des BTS, mais pas seulement. Lorsque la Professeure Hong dénombre les recettes du groupe, beaucoup se réfèrent très clairement à toute l’industrie musicale coréenne. La Professeure ne le nie pas - elle a passé l’âge de mettre en avant ses « bias *» au détriment de leurs concurrents. C’est un panorama global qui nous est présenté - et c'est pourquoi les points que j'en ai retenus ne concernent pas uniquement les BTS, mais plutôt la communauté Kpop en général.
*idoles préférées
Tout d’abord un constat de base : si la Professeure Hong a quelque chose à apporter sur ces sujets, ce n’est pas seulement sa connaissance pratique et visiblement très au fait de l’actualité, c’est sa prise de position : cessez donc de vous sentir complexé d’appartenir à ce genre maudit du grand public français et anglo-saxon, j’ai nommé : les fans de K-Pop. De ceux qui n’y comprennent rien, elle dit : « Mais ce ne sont pas des fans, tout simplement ! » Comme si le terme « fan » désignait à ses yeux une sorte de statut élitiste de clairvoyance supérieure… l’effet de cette remarque spontanée était à la fois comique et rassurant.
Merci.🙏🙏🙏
Il est vrai qu’en matière de K-Pop, les ainés devraient être en mesure de protéger les plus jeunes de la critique. Je m’incline devant cette compétence que je n’ai pas.
Tout au long de cette conférence, j'ai été interpelée par la simplicité, la clarté, mais aussi l'assurance naturelle et sans prétention, avec lesquelles étaient présentées les composantes de la K-pop d'aujourd'hui.
Vous trouverez une courte biographie à la fin de cet article.
Mais partons d’abord des BTS. Les chiffres sont là : numéro un mondial de ventes d’albums, tous genres confondus, pour la deuxième année consécutive.
Pourtant c’est un jeu de piste : chaque élément évoqué s’approche du mystère, mais on n’y est jamais vraiment.
Le premier point qui retient mon attention est le statut particulier que la Professeure Hong Seok-Kyeong leur accorde : le premier groupe coréen étant parvenu à transcender le statut d’idole de K-Pop pour parvenir à celui d’artiste à part entière, sans pour autant s’affranchir des contraintes que connaissent la plupart des autres groupes. Entendons-nous bien : pas les premiers artistes. Mais les premiers à parvenir à cette reconnaissance sans avoir été obligés d’envoyer voler en éclat le système qui les a vus naître. L’idée est intéressante.
.
D’après la professeure Hong, c’est tout d’abord dans le hip-hop qu’il faut chercher la clé de cette différence qui a fait leur succès. C’est certain, la K-pop de la première génération, bien davantage hip-hop que pop, se racontait à travers ses textes rap contestataires. Elle avait provoqué un raz-de-marée parmi la jeunesse coréenne.
A travers leurs chansons, les BTS expriment eux aussi leurs sentiments, la narration de leur vécu, ce qui suppose évidemment qu’ils soient les auteurs de leurs propres textes. La composante pop ne semblant être que la partie « commerciale » qui s’y superpose.
.
La Professeure rappelle que l’incertitude face à l’avenir, grand thème partagé par les jeunes coréens, pour ne pas dire par les jeunes en général, est sans doute exacerbée pour les idoles s’étant écartées du droit chemin de l’école, dans une société qui ne jure que par la réussite scolaire. Malgré leur statut de stars a priori privilégiées, les idoles de K-Pop sont confrontées à un risque d’échec social bien plus grand que les jeunes scolarisés du même âge, et ressentent sans doute tout autant d’angoisse que les jeunes lycéens de leur public. Ce thème n’est pas le seul qui soit cher aux BTS, bien sûr, mais l’expression de cette inquiétude est en soi un élément important de ce qui les relie à leur public.
.
Pourtant cette opposition pop / hip hop m’intrigue.
Bien sûr, la pop pétillante et superficielle des premiers groupes « formatés » des débuts de la K-Pop sonne parfois étrangement faux aujourd’hui, dans sa volonté de divertir à tout prix. Mais c’est pourtant ce qui lui a permis d’accroître sa popularité.
Selon moi, la K-Pop d'aujourd'hui est un subtil mélange des deux : les concepts pop, avec la création de leurs univers oniriques-refuges (comme ceux des dramas) offrent un dérivatif bienvenu au réalisme froid, et sans doute un peu déprimant, du hip-hop rebelle et des textes à messages.
Et qu’est-ce qui plaît le mieux : le récit « relatable », auquel on peut relier sa propre histoire, celui qui pose des mots sur des impressions pour mieux les définir, et suggère le partage et la compassion ? Ou à l’inverse l’univers parallèle de repli, l’échappatoire, les couleurs rose et bleu - j’ai en tête la chanson des Got7 : Just Right (« jigeum cheoreom man man man man man.. ») avec ses mini-personnages dans un bol de céréales, venus remonter le moral à une charmante pré-ado manquant d’assurance… - en réalité, l’objectif est le même : rassurer.
L’un apporte un soutien à travers une réflexion collective, tandis que l’autre dédramatise la situation en l’emmenant en douceur vers un monde de repli. Qu'est ce qui est le plus utile à notre jeunesse ? Les deux, évidemment. Réfléchir et dédramatiser.
Tantôt vécu, tantôt fictif, les deux styles transmettent des messages qui ne sont pas forcément contradictoires. Pour ma part, j’ai l’impression qu’ils sont plutôt délivrés en alternance.
.
Conclusion : on n’est pas rendu !
La Professeure Hong parle d’autonomie nécessaire.
Mais si la liberté de penser et d’écrire des jeunes artistes de K-Pop était en soi la clé de leur succès international, de nombreux groupes auraient rejoint les BTS aux Etats-Unis depuis longtemps, qu’il s’agisse de pop, rock, hip hop, R&B ou autres variations. Jusque-là, le mystère reste entier.
.
Quant à la question de savoir si le talent individuel des uns et des autres est à considérer… si vous voulez rester en vie dans l’univers de la K-Pop, n’ouvrez jamais ce débat !!
.
La Professeure Hong évoque aussi le « story telling » des videos musicales, où les stars de K-pop peuvent elles-mêmes incarner les personnages de leurs histoires. Il y a les messages – les textes des chansons – mais encore faut-il utiliser les bons moyens de les faire passer. Et là, on comprend mieux où les BTS se distinguent.
Faire d’un clip video un mini-film, c’était seulement le premier pas. J’ai en tête Abracadabra des Brown-Eyed Girls, en 2010, sans parler des vidéos de DBSK et des Big Bang (entre autres), plus anciennes encore. Les BTS ne l’ont certes ni inventé, ni promu davantage que d’autres avant et après eux. Alors, qu’est-ce qui fait la différence ?
.
Aujourd’hui, de nombreux groupes n’hésitent pas à se lancer dans les vidéos musicales lourdes de symboles, si ce n’est de réflexion, n’hésitant pas à y intégrer des éléments de tradition coréenne parfois très intéressants (J’ai en tête un décryptage visionné récemment de la vidéo de Favorite Boys de A.C.E., évoquant le personnage mythique du « dokkebi », ou gobelin coréen, quoique la traduction soit inexacte.)
.
Toutefois, il est vrai que, pour ce qui est de la codification mystérieuse des chansons qui se répondent, les concepts des videos de Wings* des BTS restent uniques en leur genre.
Je pense aussi à la vidéo Magic Island de treize minutes des TXT (autre groupe de Hybe, longtemps appelés les « petits frères » des BTS), qui reste un record du genre avec plus de dix minutes sans paroles, même si ce n’est pas ce qui a fait leur succès.
.
Cette idée du « concept » artistique revient très fortement en vogue aujourd’hui, et on parle maintenant de « MU » (Musical Universe) créé par les maisons de production pour différencier l’identité d’un groupe. Toutes les maisons de production y ont recours. Il est vrai que tout ce qui est énigmatique devient rapidement synonyme de ludique pour les fans.
.
Mais il faut quand même rappeler que l’idée du groupe avec « concept » est avant tout le point fort de… la SM Entertainment.
Avant même les aespa (dernier groupe féminin en date lancé par la SM) et leurs avatars hologrammiques, on avait déjà, au lancement des EXO, les super-pouvoirs magiques de chaque membre du groupe, quoique l’idée assez puérile n’ait pas vraiment fait long feu.
Et qui d’autre aurait osé la dernière trouvaille en date : le « Kwangya », univers virtuel de la SM, peuplé d’intelligences artificielles (aespa oblige), où se réunissent l’ensemble de ses groupes. Forcément, tous les groupes de l’agence ne s’y reconnaissent pas, mais on fait difficilement mieux, après les super-groupes recomposés à partir de membres phares d’autres groupes de la même agence (Super M, et maintenant l’impressionnant Girls on Top), pour affirmer une marque de fabrique.
En fait, c’est précisément là la limite de l’exercice, et là où se différencient les BTS : promouvoir sa propre marque à travers un concept, de même que promouvoir la culture coréenne, n’est absolument pas ce que les BTS avaient envisagé.
C’est d’abord à leurs fans que sont adressés les messages énigmatiques, non à des fins promotionnelles de la BigHit, mais simplement pour assurer une communication privilégiée avec eux, de l'ordre du message privé. Comme le dit la Professeure Hong Seok-Kyeong, le succès en K-Pop suppose qu’une très grande partie du contenu offert par les groupes soit purement et simplement gratuit.
Une fois ce fil de communication établi, c’est sans difficulté, et par toutes sortes de canaux, que le groupe pourra se relier à son public, qu’il s’agisse d’exprimer une opinion personnelle, de commenter l’actualité, ou de débattre de tous les sujets. Y compris de l’histoire coréenne.
Effectivement, je repense aux membres du groupe JYJ - voir mon livre 😊– ayant réussi à travers les âges à conserver une base de fans jusqu’à aujourd’hui, c’est-à-dire, même après la disparition du groupe (mais pas de ses membres !). Les JYJ aussi employaient cette codification pour s’adresser à leur public. A l’époque, le but était surtout d’éviter les foudres des médias s’acharnant contre eux. Les fans étaient donc les seuls à pouvoir décoder les messages, et la proximité avec eux en était renforcée.
Les BTS marquent un point. Pour finir, ce n'est pas la nature des concepts qui importe, mais l’objectif de proximité recherché, et l’authenticité avec laquelle ces concepts visuels et musicaux sont mis en avant, qui fera la différence. « Authenticité », un mot qui revient régulièrement dans les propos de la professeure Hong.
Je doute fort que le « Kwangya » soit fabriqué ni pour durer ni pour faire école, tant il est vide de signification pour les fans, tandis que je ne doute pas que l’on s’interroge encore aujourd’hui sur la signification codée des vidéos de Wings.
*Les vidéos "teasers" de l'album Wings, une série d'aperçus des différents titres, reprennent les éléments symboliques du roman Demian, d’Herman Hesse, sur la perte de l’innocence et le passage à l’âge adulte. Le thème est transverse à l’ensemble des vidéos et titres de l’album. Autant dire un énorme travail.
Ci-dessous un lien vers l'une des nombreuses vidéos explicatives :
BTS WINGS era symbolism, explained: Blood, Sweat, Tears & Demian (PART 1 of 2) - YouTube
Nous voilà donc immergés dans une culture participative, où échange de contenu est synonyme de proximité, d’intimité, et sans aucun doute de fidélité des fans.
.
Si les télévisions et radio coréennes augmentent sans cesse la diffusion de nouveaux programmes de K-pop, les « contenus intermédiaires » sont produits sur internet par les fans eux-mêmes. La Professeur Hong parle de « relai amplificateur », produit par cette « couche » supplémentaire d’information numérique à laquelle les fans apportent le plus grand soin.
.
Si les violations au droit à l’image sont nombreuses, les maisons de production ferment les yeux. Cette législation n’est-elle pas d’ailleurs en grande partie obsolète aujourd’hui ?
.
Les producteurs de K-Pop le savent et le reconnaissent : les fans sont aujourd’hui plus compétents que les critiques musicaux officiels lorsqu’il s’agit d’évaluer un nouvel album, et leurs traductions du coréen à l'anglais sont d’une qualité bien supérieure à celle que les maisons de production peinent à mettre à disposition du public. (Vous trouverez un article sur ce sujet dans ma bibliographie.)
Et les règles du jeu sont très différentes : la professeure Hong Seok-Kyeong rappelle que le partage est ici horizontal, et non vertical - vertical supposerait une hiérarchie de l’information et différents niveaux d’accès… toutes choses incompatibles avec l’ouverture et, surtout, avec la réactivité des réseaux sociaux.
Elle cite le cas des « fan cams », films de concert amateurs diffusés sur Youtube, permettant de visionner un même spectacle sous différents points de vue, idée reprise par les chaînes de télévision proposant aujourd'hui plusieurs angles de visionnage (on choisit sa caméra) lors de la retransmission d’un spectacle.
Les idées et les goûts du public ont donc ici une longueur d’avance sur les médias institutionnels, qui, dans le meilleur des cas, courent derrière les tendances pour les rattraper.
Ici, je remercie notre conférencière d’évoquer ce point crucial, car je m’y suis heurtée lors de l’écriture d’Idoles.
Je connais cette problématique où citer une source presse "classique" permet de contenter le lecteur pointilleux, mais en réalité revient à prendre le risque de se référer à une interprétation erronée, alors que de simples blogs d'amateurs, tout ce qu’il y a de moins officiel, vous apporteront une connaissance bien plus étendue du sujet, si ce n’est un meilleur suivi, les uns et les autres s’alimentant à tour de rôle pour une vision plus exhaustive et plus juste que ce que vous offriront les journalistes accrédités. .
(Puis-je faire ici une exception ? Pour Philippe Mesmer, journaliste du Monde ayant commenté mon livre, qui m’a totalement bluffée en étoffant son article d’éléments que je n’avais même pas cités, un vrai connaisseur de la K-Pop, il y en a !!)
.
Ce point n’est pas du tout anodin. S’il n’y a pas – ou peu - de possibilités d’acquérir une connaissance de la K-Pop au travers des médias traditionnels, comme je l’ai déjà évoqué dans un autre article, cela revient à dire qu’il n’y aura pas de connaissance de la K-Pop par le grand public tant que ces médias traditionnels ne daigneront pas descendre de leur piédestal pour aller chercher l’information là où elle se trouve.
J’imagine que cette concurrence déloyale des réseaux sociaux les irrite particulièrement. Il reste à souhaiter qu’une nouvelle génération de journalistes plus familiers des réseaux entre enfin en action. Et il faut reconnaître, ces dernières années, que le journalisme français a fait de gros efforts – si l’on compare les articles disponibles aujourd’hui aux élucubrations honteuses d’il y a à peine cinq ans.
La Professeure Hong Seok-Kyeong cite ces fameux critiques et médias officiels – je pense qu’elle aurait pu utiliser le terme intelligensia - qui, dit-elle « partagent une certaine idée de l’art… » et établissent les critères.
Sur ces mêmes critères, les BTS aujourd’hui, pour ne pas se heurter à ce qu’elle appelle le « conservatisme » des radios américaines, chantent en anglais et s’orientent davantage vers la pop music… C’était à prendre ou à laisser.
J’ai gardé pour la fin mon sujet de prédilection. Je ne suis pas ARMY (ma fille non plus), mais il faut reconnaître que j’aime l’équation qui nous est présentée : être ARMY = être citoyen mondial.
Bien sûr, ce multi-culturalisme des fans est ce qui m’enthousiasme le plus, par, pour, au travers de, et grâce à la K-pop. Il en est partie intégrante. Je ne dis pas que je m’intéresserais à la K-Pop si la qualité musicale et artistique n’était pas au rendez-vous, mais je ne suis pas sûre qu’elle me passionnerait autant si elle conservait une dimension purement locale.
J'ajouterai juste une nuance : les Army, fans des BTS, ne constituent certainement pas l'unique, et encore moins la première communauté internationale de fans faisant preuve d'activisme. Pour ne citer qu'un point représentatif, et sans vouloir vexer personne, les Cassiopée, fans de TVXQ!, avaient déjà eux aussi donné leurs consignes de vote à une élection présidentielle coréenne. C'était en 2008.
Mais les Army, fans des BTS, sont bien évidemment l'exemple le plus frappant de communauté multi-culturelle, de par son envergure - on ne sait même pas exactement de combien de dizaines de millions de fans !! Et c'est donc la première qui ait vraiment retenu l'attention du grand public.
Je ne parlerai pas ici des prouesses de leurs actions coordonnées, évidemment très visibles de par la puissance du nombre. Avant tout autre chose, ce qui est vraiment impressionnant à mes yeux est que cette fandom soit totalement autonome et autogérée.
A mon avis, l'énergie et la dynamique inépuisables de cette communauté résident dans l'intérêt que chacun de ses membres peut y trouver, car elle leur donne effectivement accès à une communication avec le reste du monde. Cela s'applique en réalité à toutes les fandoms de K-Pop, à la différence près que, pour les Army, l'expérience est démultipliée. L'accès à la connaissance est indéniable.
Les points suivants n'étaient pas développés par la Professeure Hong, mais je vous donne mon propre point de vue :
Bien sûr, il subsiste un risque énorme de déformation de l’information sur les réseaux fréquentés par les fans de K-pop. Qui n’est pas déjà devenu vert de rage à la lecture de propos insensés, à deux doigts de cliquer sur le bouton pour intervenir, pour se rendre compte ensuite que d’autres l’avaient déjà fait, parfois avec beaucoup de diplomatie, pour rectifier le tir et rétablir la vérité. En réalité, si on lit beaucoup d’inepties sur les réseaux, je ne pense pas y avoir jamais constaté que ces mêmes inepties aient rencontré beaucoup d’adeptes, et la tendance générale est plutôt à la rectification des erreurs, à plus ou moins long terme, qu’à leur colportage sans frontières.
Est-ce à dire que les réseaux K-Pop ne sont pas fréquentés que par des jeunes de quatorze ans ? Sans doute. Mais je crois plus volontiers que ce qui fait la richesse de ces échanges est le partage d’expériences directes, retransmises par ceux qui les vivent « réellement », de part et d’autre du globe, bien placés pour intervenir, chacun sur le sujet qu’il maitrise.
Je sais qu’il s’agit là d’une vision idyllique des réseaux sociaux, ou plus exactement de ce qu'ils pourraient être. Je n'ignore rien des abus - scandales et faux scandales, idoles jetées aux orties sans motif justifié suite à des mouvements de masse honteux et irréparables, suicides et carrières brisées. Mais il n’en reste pas moins qu’avec un peu de recul, on trouve à peu près tout sur les réseaux, y compris la vérité, sur beaucoup de sujets. Et une source de réflexion extrêmement percutante, particulièrement lorsque ces mêmes adeptes de réseaux sociaux, youtubers, instragrameurs, sont eux-mêmes en passe de devenir aussi pointus en communication que les professionnels eux-mêmes.
..
.Si vous vous demandez pourquoi les Youtubeurs, de même que les stars de K-Pop, sont parfois sollicités par des instances gouvernementales pour faire passer leurs messages, vous avez là la réponse. Et il reste assez peu probable que l’on puisse acheter leurs opinions, ce qui reste la garantie de leur crédibilité, pour un public extrêmement volatile qui n’hésiterait pas à les abandonner sans regrets à la moindre tentative de manipulation.
Bien sûr, il vaut mieux être peu influençable, mais après tout, on n’a pas attendu les réseaux sociaux pour inventer le débat d’idées.
.
Mon constat personnel est que l'actualité, en matière de K-Pop, n’est souvent que prétexte à la confrontation. Exactement comme ces articles du magazine en ligne allkpop, unanimement reconnu pour la pauvreté de ses sources et son manque d’exactitude, mais toujours premier à mettre le doigt sur ce qui va ouvrir le débat. Et l’on y revient toujours, bien sûr, en râlant contre la désinformation, mais ravi de se sentir prêt à exprimer son point de vue dans les commentaires.
(Quelques très rares fois, j’ai pu y lire des articles stupéfiants de précision, particulièrement les critiques musicales à la sortie de nouveaux albums. Que l’on ne s’y trompe pas, les journalistes d’allkpop, même s’ils ne se démasquent pas souvent, sont probablement très compétents. Ils appliquent simplement cette compétence à faire sortir de leurs gonds le plus de lecteurs possible. Et ça marche ! Tout ce que veulent les fans, c’est discuter !)
Ainsi s’érigent les règles de comportement – même virtuelles – d’une immense communauté sans frontières, où les conflits se règlent sur twitter ou reddit à bâtons rompus, jusque dans les pires des excès. Je parlais plus haut de combat fusionnel permanent : combat de société, politique, idéologique parfois, sous ses dehors gentillets. Ce qui ravit les uns choque les autres : la perception instinctive de ce qu’on entend et de ce que l’on voit ne manque jamais de refléter les identités culturelles multiples. Et les débats sont parfois fascinants.
Enfin, à l’issue des différents, il n’est pas rare que se dessine des positions communes, des « règles de vie », et bien souvent un mode de communication particulier, où l’on n’hésite pas à inventer de nouveaux mots, ou expressions, propres à décrire ces nouvelles attitudes. Aujourd’hui, c’est un train à prendre en marche, déjà lancé à pleine vitesse, vers une nouvelle forme de culture.
Je ne suis ni pour ni contre les réseaux sociaux. Je pense simplement que cette question elle-même est d’un autre âge.
.
Revenons aux BTS : de source probablement dûment vérifiée, la Professeure Hong nous rappelle que seuls 10% des revenus des BTS proviennent du marché coréen. Lequel marché, d’ailleurs, tarde encore à comprendre ce que les BTS ont pu démontrer de si particulier pour avoir remporté tant de succès… Mais la K-Pop échappant aux coréens est encore une autre histoire, et je crois que je vais m’arrêter là.
Retenons surtout que c’est au travers de Youtube, Naver, twitter, Instagram, et autres… que ces 90% de fans se sont réunis.
Je vous retranscris en conclusion les petites phrases que j’ai aimées, dont celle qui nous apporte la clé de l’énigme.
🎈 Tout d’abord cette déclaration spontanée, résumant à merveille l’incroyable paradoxe :
« Ils ne sont pas libres. Mais ils ont écrit [… ], c’est cela qui est grand. »
..
Les BTS sont parvenus à atteindre, et à conserver, leur liberté d’expression tout en restant pieds et poings liés par une maison de production, dont le dirigeant, il faut tout le même le rappeler, est un financier et un ancien de la YG Entertainment, et non un débutant vivant d’air et d’eau fraîche.
Mais son investissement dans les BTS a supposé une prise de risque énorme (qui, aujourd’hui, tenterait de faire fortune en se consacrant à un groupe unique ?) et a sans doute sacrifié un temps infini à leur accompagnement pour les pousser à accéder à ce fameux statut d’artiste créateur, sans les brimer d’objectifs de rentabilité dirigistes.
De mon point de vue, si ce succès ne leur a pas fait perdre leur identité aujourd’hui, mais leur a au contraire permis de s’affirmer autant (clin d’œil à « Love Yourself »), c’est sans doute que la maison de production, loin d’être une prison, est en réalité aussi leur forteresse, à l’image de leur résidence de Séoul ultra-sécurisée. Hybe les a propulsés en avant, mais je suis persuadée qu'elle les soutient et les protège aujourd’hui du mieux qu’elle peut.
.
Pour moi les BTS restent la conjugaison des forces d’un producteur visionnaire, d’un groupe talentueux, résistant et infiniment diplomate, et d’une immense base de fans ayant pris tous ensemble la même direction.
.
Pour la vision de Bang Si-Hyuk, particulièrement respectueuse des fans, voir aussi l’excellent article de NPR :
'Hitman' Bang Si-hyuk, The Brand-New Billionaire Behind BTS : NPR
.
..
🎈Sur les videos et contenus mis à disposition des fans sur les faits et gestes de leurs idoles : « Chacun a son histoire… les fans essayent de comprendre cette fiction énigmatique, volontairement laissée énigmatique… c’est assez drôle ! » Tiens tiens… pourquoi cette impression étrange de déjà vu quant à la reconstitution d’une histoire morcelée en un puzzle de mille pièces, dont certaines n’ont toujours pas été retrouvées ? HyBe, vous ne jouez pas trop avec les nerfs des fans, j’espère ? Je sais ce que c’est …
Elle rappelle aussi qu’il y a une limite à ce que les idoles sont prêtes à dévoiler d’elles-mêmes, sans doute bien moins glamour que ce que les fans recherchent… « Ca ne peut pas être leur vie privée ». A cette réflexion, elle laisse son auditoire muet… On est bien d’accord, ça ne fait pas plaisir à entendre. Mais ceux qui se sont cassé les dents en cherchant à prendre contact avec leurs idoles sont malheureusement là pour en témoigner.
Même si le charme reste le même.😉
.
.
LE MOT DE LA FIN
.
🎈 Rendant grâce à la success story du groupe aux origines sociales modestes, elle conclut :
.
« Aujourd’hui, on donne le micro aux coréens car notre vécu a un sens dans le monde actuel. On se souvient encore de la pauvreté, de la faim, de la guerre, c’est notre mémoire collective. »
« C’est pour cela qu’on mange beaucoup. On mange tout le temps, vous ne trouvez pas ? C’est qu’on a encore très faim ! »
.
On n’en doute pas !
Et quelle leçon d’entendre une voix coréenne prendre suffisamment de recul historique pour penser qu’aujourd’hui, la Corée est passée du côté des pays qui ont, à leur tour, à offrir un enseignement.
.
Professeure Hong Seok-Kyeong, mille mercis pour cette conférence 👏👏
La biographie ci-dessous et la photo ont été publiés sur le site internet de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales :
Dr Hong-Mercier Seok-Kyeong
"Après son doctorat en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université de Grenoble 3 en 1995, Seok-Kyeong Hong a travaillé dans KBC (Korean Broadcasting Commission), institution de régulation audiovisuelle sud-coréenne. Devenue maitre de conférences, elle a ensigné les médiacultures à l’Université de Bordeaux 3 entre 2000-2013, avant d’intégrer à l’Université Nationale de Séoul en mars 2013.
Bibliographie sur Google Scholar
Crédit images
Header : Photographie : Marianne Weller
Photo : Dr Hong-Mercier Seok-Kyeong - site internet de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales - Hong | EHESS
Footer : Collections du Musée du Quai Branly, Paris - Photographie : Marianne Weller